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Allocution du moine apnéiste Loïc Vuillemin à l'occasion de la Fête Nationale Suisse à Trélex

Chères Trélésiennes, chers Trélésiens,


avant de vous parler un peu de profondeur et de prononcer quelques vœux dans ce sens, je souhaite vous adresser à toutes et à tous, ainsi bien entendu qu'aux membres de la municipalité qui ont formalisé cette magnifique invitation, mes plus chaleureux, profonds et sincères remerciements.


Merci aussi à chacune et chacun d'entre vous de cautionner le fait que les médias locaux m'appellent le « Trélésien » alors que j'ai quitté le village, peut-être à contrecœur, en 1995, pour devenir moine et vivre cette vie de pérégrinations qui est devenue la mienne.



"Plus de gens ont atteint l'espace que d'autres n'ont atteint, en une seul souffle, cette profondeur dite mythique des 100 mètres"


Il est dis, et j'ai bien pris soin de vérifier les chiffres, que plus de gens ont atteint l'espace que d'autres n'ont atteint, en une seul souffle, cette profondeur dite mythique des 100 mètres.


Quel que soit votre âge, votre état de santé ou le contexte socioprofessionnel dans lequel vous vivez, je crois qu'il est important de rêver grand, voir très grand. Il est aussi important d'avancer pas à pas, sans s'illusionner, vers ses buts et réalisations.



Les alchimistes trélésiens


Pour moi Trélex a été le creuset de nombreux choix, mes premiers choix d'adulte, de liberté inconditionnelle, de spiritualité et de profondeur. Ce creuset ne va bien entendu pas sans ses alchimistes et certains acteurs locaux ont été autant de sources d’inspiration de ces choix, peut-être petits, et qui m'ont amené à réaliser de choses, peut-être grandes... quand bien même, face à l'humilité, elles ne sont peut-être que des futilités événementielles.


Bien entendu il y avait ma mère, Mireille Vuillemin ici présente, qui prodiguait l'esprit de justice dans le district de par sa fonction de magistrate et qui a importé de sa vie bien remplie la pratique du Taï-chi et du Chi-Kong. Elle m'a fait comprendre que même ce qui est immobile est en mouvement et que l'esprit juste n'est pas conditionné par le temps mais par la patience.


Il y avait mon père, Vincent Vuillemin, qui se retrouva à devoir prendre en charge la construction et le fonctionnement de l'accélérateur de particule du CERN et qui me transmit cette certitude que l'on a rien sans rien et que bien souvent il faut savoir ne pas lésiner sur les moyens.


Il y avait, et là je souhaite souligner la dédicace, le professeur Mayor qui, le premier de l'humanité moderne, découvrit la présence d'autres planètes que celles du système solaire. Grâce à lui, les rêves les plus fous et les plus lointains devinrent l'ordinaire d'une nouvelle génération dont je fais partie, même si mon âge avance, irrémédiablement.


Et puis il y avait Monsieur Yoggi qui malgré son terrible accident nous mettait minables, nous les gamins du village armés de nos vélos, à la descente de vitesse de la Coque à l'épicerie du coin dont je me réjouis de voir qu'elle existe encore.


Merci à vous tous, merci à eux et merci à cette magnifique commune qui a hébergé certaines de mes meilleures années.




ca fait quoi de descendre à 100m en apnée ?


Alors parlons un peu profondeur et laissez-moi répondre à cette question bien légitime que vous êtes peut-être nombreuses ou nombreux à vous poser: ca fait quoi de descendre à 100m en apnée ? Oui, soyez-en convaincus, ça fait peur. Pas pendant heureusement car une fois lancé il faut assumer le fait que les sensations doivent prévaloir sur les émotions pour simplement ne pas échouer, mais avant oui, c'est assez effrayant.


Descendre dans les abysses et en revenir sain et sauf n'est pas un acte anodin et ça demande autant de lâcher prise que de détermination. La pression augmente jusqu'à atteindre des tonnes par centimètres cube, les poumons s'écrasent jusqu'à atteindre le volume d'une orange... ou plutôt d'un jus d'orange, le diaphragme remonte dans la cage thoracique et l'air embarqué est pressé avec force dans les cellules, ce qui nous laisse parfois dans des états d'esprit complètement insolites.


Avec la profondeur qui augmente, le mental n'est plus qu'un organe comme un autre ; il assume sa fonction qui est de penser et le soi se transforme en cet observateur impassible qui ne fait plus la différence entre le rêve et le réel. Il n'y a plus personne dans ce véhicule humain et pourtant en nous, à cet instant, il y a cet être qui maîtrise la situation dans un calme olympien.


Descendre à 100m est un objectif qu'on se fixe, sans bien sûr savoir ce que cela représente d'investissements. C'est énorme, un saut dans l'inconnu, et cela va sans dire que l'apnéiste comprend à un moment donné qu'il joue sa vie dans l'aventure.


Jouer sa vie ? N'est-ce pas là le prix à payer pour la profondeur ?


Oui ça coûte cher, oui c'est énormément d'entraînement, oui c'est dangereux et oui c'est futile : Mais quand on sait qu'on connaît mieux le relief de la surface de Mars ou de la Lune que les profondeurs de nos lacs, des mers, des océans ou de nous-mêmes, n'est-ce pas là une évidente invitation ?




la profondeur comme sens à la vie?


Une invitation à donner du sens à ce que nous nommons des futilités, une invitation à faire grandir notre sagesse face à quelque chose que nous ne comprenons pas ou que nous ne pouvons atteindre, une invitation à tout simplement donner du sens à nos vies.


Oh, soyez sans crainte, qu'il s'agisse de la vie ou d'une plongée au delà du souffle, il n'est nullement question de toucher le fond... et pourtant on l'atteint.


Sentir la profondeur


Alors comment on se sent à 100m de profondeur ?


Eh bien on comprend instantanément qu'il n'est nul besoin d'invitation spirituelle pour rejoindre la surface. On sait par contre que le temps ne compte pas mais que cela pourrait bien nous prendre celui qui nous reste. On s'arme de patience, de courage, de détermination et de force et on se borne à faire ce qui nous sauvera la vie et qui libérera nos proches en tout cas du stress auquel on les soumets en voulant faire ses preuves de manière inédite. Il n'y a qu'un seul mot d’ordre, remonter à la surface et reprendre cette activité qui a témoigné de notre premier pas dans la vie : respirer, respirer, respirer... !


Bon voilà ! Si ça n'était que ça, ça irait encore. Mais une fois de retour à la surface, mieux vaut ne pas avoir oublié qu'il s'agit bel et bien d'une performance sportive de l'extrême. On reprend son souffle, les juges et le public retiennent le leur car le dernier détail doit encore être validé : le fameux protocole de surface. Dans les 30 secondes qui suivent le retour à l'air libre, l'apnéiste en a 15 pour enlever son équipement facial, joindre le pouce et l'index en une boucle plus ou moins ronde et finalement dire « I'm okay » ou « I am okay ». Surtout rien de plus, surtout rien de moins.


S'il faut le dire en anglais, rien n'est cependant spécifié sur l'accent avec lequel il faut le dire et c'est peut-être là que j'ai su gagner la considération, certes immensément modeste, de mon pays et celle, plus chaleureuse, de ma région.


I AM OKAY


Je reprends mon souffle, commence mon protocole de surface, fait le signe attendu et j'attends, dans un suspense qui suspend non seulement la respiration des gens présents mais aussi leur esprit. J'attends la dernière seconde valide pour lâcher dans un grand sourire ce « I AM OKAAAAAY » qui je l'espère fait honneur à mon pays et à ma commune de cœur.


Croyez-moi, notre accent plaît et donne le sourire à chacun au delà de nos frontières, et ça jusque dans le désert du Sinaï où par 17 fois à l'heure actuelle, je fis flotter le drapeau national.


Celui-ci pour être précis.


Bon, voilà voilà...


le bon grain de l'ivraie


Bien que vous puissiez respirer durant ce discours, je me dois d'y donner un terme et puisque nous sommes « entre nous », je voudrais, au delà des honneurs que nous nous devons de rendre en ce jour à notre pays, vous adressez ces bons vœux qui sont à l'image de notre écusson communal. On le sait toujours et surtout depuis la sortie de ces autocollants un rien désuets dans les années 90 que Trélex n'est pas très laid. Recevez mes vœux de réalisation et de beauté.


Mais qui se rappelle ici qu'il faut du vent pour se servir d'un van et que son usage est dédié à trier le bon grain de l'ivraie.


A l'image de ce symbole, je vous souhaite le meilleur cœur, le meilleur souffle, celui qui vous permettra de trier le vrai du faux, le juste de l'injuste et le bon du mauvais.


Je vous souhaite finalement de tous découvrir votre propre profondeur et de savoir retrouver la surface en plaine possession de vos moyens, de pouvoir respirer librement et de comprendre qu'il vous faudra tomber le masque... mais surtout et bien sûr, je vous souhaite à toutes et à tous de toujours... être « OKAAAAY »


Merci pour votre attention


Bonne fête nationale à tous


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