C'est jour de congé d'entraînement en profondeur alors je me livre avec entrain et effort à développer quelques concepts que l'on rencontre dans le zen.
L'alimentation des moines et des nonnes zen
Le sujet d'aujourd'hui étant, comme vous l'avez peut-être déjà compris, d'étudier l'alimentation des moines zen. Attachez vos ceintures, parce que j'espère que ça va vous décoiffer un peu quand même. Ca pourrait être un brin mal cousu parce que j'ai peu de temps et j'aimerais bien que ce texte sorte d'un jet comme si je vous parlais de ce sujet dans un dojo. Ca m'entraîne aussi à écrire un bouquin, c'est pas mal j'me dis.
Le végétarisme monastique est-il traditionnel?
Pour moi la question du végétarisme était un truc qui me taraudait déjà lors de mon ordination d'aspirant moine (comprenez l'ordination de bodhisattva comme on dit dans la lignée Deshimaru-Kosen). Je m'étais rasé le crâne et donc les gens me posaient des questions sur le pourquoi, le comment et tout le toutim. Les gens aiment bien blablater de spiritualité, créer des débats et donner leur avis sur tout... donc assez vite je me suis vu devoir répondre à un nombre incalculable de questions sur le zen et dont je n'avais bien entendu pas la réponse. Quand les gens comprenaient que je n'avais pas tout compris et que j'avais pas les réponses à leur marasme mentalisé sur la spiritualité, la question fatidique arrivait : « Vous êtes végétarien ? » Je savais alors que la discussion arriverait à son terme quand je répondais « Non » ou plus timidement « pas encore ».
Amour et reconnaissance
C'est très simple, je suis devenu végétarien parce que c'était une des conditions de base pour manger en sa présence de la fille qui est ensuite devenu ma femme. Donc je suis devenu végétarien par amour, peut-être juste par besoin de reconnaissance diront les mauvaises langues qui aiment bien me faire chier sur ce sujet.
Qui mange quoi?
Mais la question n'est pas vraiment ici de savoir comment je m'alimente moi, car vous découvrirez cela bientôt quand je vous parlerai de Benjamin Lotin, mon coach nutrition et jeûne, mais aussi ami et maître à rêver. On parle ici de l'alimentation des moines zen. Je vais pas me lancer dans une analyse de l'alimentation traditionnelle mais de ce que j'ai reçu comme enseignement de la part de mon maître sur le sujet. Ne vous avisez surtout pas de me demander ce que mangent les moines tibétains ou chaque moine au cas par cas car j'en sais rien. Je sais juste que le Dalai Lama a dû mangé de la viande quand il était malade, ce qui au fond ne me regarde pas.
Le moine mendie sa nourriture
Alors point n1 : Le moine mendie sa nourriture
D'un coup, c'est très simple, il mange ce qu'on lui donne. Il se nourrit donc d'offrandes résultant de sa mendicité... sinon, ben il boit du thé et pratique zazen pour se passer la faim. Bien entendu, les gens qui donnent aux moines sont souvent pas riches et donc ils donnent des fruits, des légumes, une poignée de riz, des gâteaux secs... mais rarement de la viande car c'est trop cher et que ça se conserve assez mal par exemple.
Le cas du Bouddhisme Chinois et le Bouddha lui-même
En Chine, là où les temples étaient trop éloignés pour que les moines mendient en ville, ils cultivaient la terre et éventuellement avaient du lait ou des oeufs. Mais je conçois mal un moine bouddhiste tuer un animal pour s'alimenter. Il est dit que le Bouddha avait bu du lait avant de s'éveiller, puis qu'un lapin se serait offert en sacrifice pour lui passer la faim lors d'un voyage donc il était pas végan... quoique j'ai des doutes sur la nature du lait qu'on lui a donné avant son éveil et sur cette histoire de lapin. Je n'entre pas dans ce sujet précis parce que ça va un peu trop loin pour le commun des lecteurs.
Poursuivons...
Un végétarien qui mange de la viande
Je me rappelle une conférence qu'on avait fait avec mon maître qui s'appelait « Zazen : la conscience du big bang ». Un méga truc de plus de deux heures avec videos projections d'animations et tout pour que le public trouve ça cool. On y parlait de la préhistoire du Bouddhisme, de l'histoire du Bouddha, de la pratique du zen, de conscience, d'astrophysique et de la nature universelle non née... bref... tout te tsointsoin. A la fin de tout ça, alors que les gens peuvent poser des questions il y a ce gars qui lève la main et qui demande :
« Est-ce que vous mangez de la viande ? »
« Parfois » répond mon maître
« Donc vous n'êtes pas végétarien ? » dit le bonhomme
et il répond :
« Si ! Je suis simplement un végétarien qui mange de la viande »
Le gars a un petit sourire triomphant, il remercie pour la réponse. Moi je pense « eeet merde, le soufflé est foutu, on va pas nous prendre au sérieux». Mon maître il suit une voie, par conséquent il y va pas par quatre chemins.
Ce qui est très marrant c'est que j'ai rencontré ce gars des années plus tard à Bali et il se trouve être un coach très influent en véganisme. On en a reparlé ensemble et pour lui, effectivement, la réponse de mon maître avait sonné le glas de son sérieux.
On est d'accord qu'être végétarien est en contradiction avec le fait de manger de la viande... donc dire qu'on est des végétariens qui mangeons de la viande est paradoxal et surtout incompréhensible pour les gens du monde mondain. Pour moi c'est devenu un koan... vous savez ces interrogations bizarres que les maîtres rinzai ont pour leurs disciples et que j'ai résolu bien évidemment.
Etre végétarien c'est pratique, surtout quand on est moine bouddhiste
Moi qui était végétarien du fait des injonctions de ma partenaire de vie, j'étais désormais en contradiction avec le maître ce qui, pour le disciple, est une catastrophe totale. Il fallait que je trouve en moi des ressources spirituelles, une vérité ou un enseignement qui me permettrait d'embrasser et de dépasser cette contradiction. Mais bon, une chose est sûre, si on me posait la question, j'étais tranquille puisque je n'avais qu'à répondre « Oui je suis végétarien, je ne mange donc pas de viande ». Hyper pratique pour ne pas tomber dans des débats inutiles et lisser le mondain dans le sens du poil.
La bouche du moine est comme un four
Quand j'ai questionné mon maître sur l'alimentation que nous devrions avoir il m'a répondu :
« La bouche du moine est comme un four ». C'est pas vraiment son genre à donner des explications. Donc un koan de plus...
Tournant cette phrase dans tous les sens pendant le zazen, je n'arrivais qu'à voir ces moines et ces nonnes qui s’empiffraient de viande les soirs de fêtes, ce qui me semblait vraiment pas juste du tout, limite en désaccord avec les préceptes. Oui, j'étais militant végétariste et je vous promets que j'ai fait chier plus d'un carnivore, y compris mon maître.
Je pensais : la bouche du moine est comme un four ? Avec tout ce qu'ils s'empiffrent, ils doivent se brosser les dents avec de la soude caustique, la phrase doit venir de là. La bouche du moine est comme un four, La bouche du moine est comme un four, La bouche du moine est comme un four,... en attente de l'illumination.
J'ai cherché dans tous les bouquins possibles et imaginables pour trouver quel maître aurait donné cet enseignement pour finalement comprendre qu'il s'agissait d'un adage populaire japonais. La bouche du moine est comme un four signifiant simplement que les moines mangeaient ce qu'on leur mettaient dans la bouche. Mais ça ne résolvait toujours pas la question que quasi tous les moines bouddhistes sont végétariens voir végans... alors pourquoi pas nous les moines zen et pouquoi notre bouche serait-elle un four alors qu'elle pourrait tout aussi bien être l'entrée d'un temple saint.
(pardon, je résiste pas : gaffez-vous d'ailleurs quand vous rentrez dans un temple, ça se pourrait bien que ça soit une bouche prête à vous avaler sans regard pour votre nature propre)
Le débat autour de la mort du Bouddha
J'ai donc du en revenir au débat originel sur la mort du Bouddha. Il serait mort d'une intoxication alimentaire (ou d'un empoisonnement) alors qu'il avait mangé un truc dont les textes disent que c'était de la protéine. Le mega débat vous imaginez pas : un champignon ? Et donc le végétarisme/véganisme du Bouddha était préservé... De la viande ? Et toute cette histoire de végétarisme/véganisme serait balayée de l'histoire du bouddhisme. Le débat dure encore actuellement et soyez certains que c'est parfois le pugilat.
Si la bouche du moine est comme un four, pourquoi mangerait-il alors de la viande ? On sait que ça a tendance à salopper les fours et qu'un four qui cuit de la viande c'est plus difficile à nettoyer qu'un four qui n'a vu que des légumes. Et puis personne n'aurait tenté de conserver de la viande dans un temple, elle aurait vite faisandé, ça pue et ça fait venir les mouches... pas cool pour la méditation.
De la viande??? mais où et quand??? Les sponsors bienveillants
Pourquoi n'étant donc pas la bonne question, je me suis alors demandé « quand » et « ou » le moine mangerait-il de la viande. L'intendant du temple, comme vous l'avez compris, ne va pas acheter de la viande au marché pour la ramener au temple. Donc où et quand ?
Et ben ça me ramène à mon quotidien et à ma quasi incessante recherche de sponsors. Les temples ne se construisent pas seuls et les moines ne sont pas tous bûcherons, maçons et charpentiers. Ils étaient sponsorisés et bien souvent les villageois finançaient la vie des moines et des temples en échanges de services spirituels tels que mariages, naissances, morts, interrogations diverses et bénédictions multiples. Il n'était pas rare que le maître se voit invité chez tel ou tel et encore moins rare que le maître envoie quelques disciples à sa place, vraisemblablement avec la directive suivante :
Vous êtes invités par cette famille qui nous sponsorise pour bénir leur autel des ancêtres. Vous y allez, vous faites ça bien et si ils vous invitent à manger, vous me finissez vos assiettes. Hors de question qu'on vienne me dire que vous avez snobé ceci ou cela à cause de vos convictions ou préférences personnelles. Si la patronne vous fait de la viande, vous mangez tout et dites poliment merci et que c'était très bon. Si on vous ressert, vous mangez encore, c'est bien compris ? Et ça même si c'est dégueu. Parce que sinon, la prochaine fois qu'il faudra réparer le toit du dojo, ils nous donneront rien.
C'est donc ainsi que l'adage populaire « la bouche du moine est comme un four » est apparu.
Inviter le maître à dîner
Maintenant, si le maître se déplaçait lui-même, ça pouvait être différent. Comme son job c'est d'enseigner, et pas seulement à ses disciples, le maître a le droit de dire à la patronne et au patron : « Je suis navré mais je suis végétarien ». A ce moment là, le foyer des sponsors se remet en question et se décarcasse pour retrouver l'harmonie souhaitable lors de la présence du maître qui pourrait à tout moment retourner à son thé et à son zazen même si le toit fuit du dojo quand il pleut.
Quand on m'invite formellement en tant que maître, je fais savoir à mon hôte, parfois en m'excusant, que je suis végétarien et que j'apprécierais donc qu'on ne me serve pas de viande. Mais bien souvent les gens ne savent pas ou n'y pensent pas et je me retrouve avec de la viande dans mon assiette, du poulet ou du poisson... auquel cas je ne dis rien et mange. Si on me pose alors la question de savoir si je suis pas végétarien, je répond que si mais que mes convictions personnelles passent après la bonne énergie et l'harmonie de cette invitation sincère. Qui plus est, je remercie en disant que c'est pas tous les jours et que ça fait du bien. Ils peuvent donc se rendre compte qu'un moine c'est d'abord quelqu'un de poli et de bien élévé, qui sait reconsidérer ses trucs perso pour l'harmonie et la bienséance des gens qui font un effort dans son sens.
J'ai expliqué ces concepts et histoires sur une île grecque au resto en compagnie d'amis chasseurs sous marins qui festoyaient au poisson alors que j'avais discrètement commandé des légumes pour moi. Je regardais ce monceau de carcasses en espérant que personne n'allait voir que j'en mangeais pas. Puis ils m'ont remarqué et questionné. Quand ils ont eu compris les différentes histoires et après avoir essayé de me convaincre de me servir de poisson, un des grecs s'est finalement levé et m'a posé un demi mérou dans mon assiette en disant « Mange ça moine, c'est offert de bon coeur ». J'étais heureux, vraiment reconnaissant qu'on m'accepte à une si belle tablée où tous étaient désormais au delà de ce que d'autres pensent être des obstacle à notre sociabilité et la fête a pu s'envoler vers le paradis d'un seul esprit. J'ai pu dire les grâces pour tout le monde et tout le monde était bien content d'avoir un moine flexible et érudit à table.
Aujourd'hui cet état d'esprit s'est perdu et la plupart des moines ne savent pas pourquoi ils font ceci ou cela. Personne ne leur enseigne et donc personne ne comprend vraiment l'essence de l'esprit de notre pratique transmise de maître à disciple depuis des temps immémoriaux.
Mendier sa nourriture spirituelle
Alors que j'avais finalement résolu tous ces koans liés à l'alimentation monastique, un nouveau questionnement s'est présenté à moi. Le moine mendie-t-il pour sa nourriture spirituelle ?
Oui, le moine mendie toujours pour sa nourriture. Il se voile la face pour éviter de montrer sa gêne et sa faim, il se prosterne devant le maître pour abandonner sa non connaissance totale de l'enseignement. Ainsi, il reçoit la moelle du maître... un véritable osso busso dharmique lol
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui, le repas est fini. Normalement vous pouvez faire des commentaires ci dessous des fois que vous auriez encore faim. Vous gênez surtout pas pour utiliser cette possibilité et poser des questions le cas échéant. Par contre, comme j'ai déjà été du bétail d'abattage dans une autre vie, rappelez-vous d'être poli et bien élevé si vous souhaitez discuter de ce sujet parce que je suis pas là pour me faire bouffer.
Bonnes plongées dans la vie, le zen, et dans vous même. Restez en un seul morceau.
Si vous êtes enclin à sponsoriser le moine qui a écrit ces lignes, merci de consulter ce lien et de me contacter le cas échéant
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